الخميس، 31 مايو 2012

الشعب يريد إسقاط النظام!

Pour la chute du régime de Tunis

Par CHOUKRI HMED Maître de conférences Université Paris-Dauphine, HÈLA YOUSFI Maître de conférences Université Paris-Dauphine

La révolution tunisienne semble être, une fois de plus, à un tournant décisif de son histoire. Depuis l’élection de l’Assemblée constituante, le torchon brûle entre le parti islamiste Ennahda et une partie de l’opposition, médiatisée sous le terme «démocrate», laquelle a refusé d’entrer au gouvernement. L’affrontement est monté d’un cran au début du mois d’avril 2012 à la suite de la répression féroce par les forces de l’ordre de manifestations réclamant le droit au travail et la liberté d’expression. La réaction de la plupart des partis d’opposition ne s’est pas fait attendre : nous serions entrés dans la dictature théocratique et les libertés individuelles seraient plus que jamais en danger depuis l’arrivée au pouvoir de ceux dont le rêve à peine refoulé serait d’instaurer un «Tunistan».

S’il faut s’indigner des menaces réelles proférées contre les libertés d’opinion et de croyance, et s’inquiéter du fait que celles-ci pèsent moins sur les courants dits «salafistes» que sur les «démocrates», il ne s’agit pas non plus de prendre des vessies pour des lanternes. Car à quoi assiste-t-on depuis la fuite de Ben Ali sinon à la reconduite de la même structure de débats et d’opposition entre «démocrates» et «islamistes» de l’autre ? Ce clivage a atteint son apogée le 1er mai 2012 lors de la manifestation qui devait rappeler les enjeux sociaux et économiques de la révolution. Le slogan phare «Travail, liberté, dignité» a été noyé dans la cacophonie orchestrée d’un côté par les partisans d’Ennahda qui scandaient «Par notre âme et notre sang, nous te défendrons, ô gouvernement !», de l’autre par leurs pourfendeurs qui répliquaient «Que chute le gouvernement de la honte !».

Cette lutte apparemment sans merci semble être l’unique jeu auquel islamistes et modernistes soient en mesure de jouer. Il a pour effet de reléguer la question sociale au second plan en bloquant le désir d’un grand nombre de Tunisiens de rompre avec le mode de gouvernement qu’ils connaissent depuis plus d’un demi-siècle. En effet, les stratégies de l’opposition portée essentiellement par le Parti républicain et la Voie sociale et démocratique mais aussi par une partie des vestiges de l’ancien régime ne visent pas la remise en question du régime politique ni du modèle économique qui prévalaient avant la révolution. La plupart des leaders de l’opposition au gouvernement actuel n’ont jamais rechigné à prêter main-forte aux trois gouvernements provisoires - non issus d’élections. Les exactions commises - ordonnées, devrait-on dire - par ces gouvernements à l’encontre des mouvements révolutionnaires ont provoqué, y compris après la fuite de l’ex-président, des centaines de morts et de blessés, sans qu’aucun de ces opposants «démocrates» ne s’en émeuve. Leur appel à la «résistance» aujourd’hui sonne d’autant plus faux que les revendications populaires pour une véritable justice transitionnelle et l’assainissement des appareils judiciaire et sécuritaire n’ont trouvé jusqu’ici aucun écho dans leur programme pourtant «démocratique». Celui-ci se contente de revendiquer la liberté d’opinion, de croyance et d’entreprise pour les fractions supérieures des classes moyennes, aux dépens des revendications de justice et d’équité portées par les groupes les plus défavorisés.

Dans ces conditions les protestations de l’opposition, toutes entières ordonnées autour de la liberté d’expression, ne gênent en rien l’actuel gouvernement provisoire. Au contraire, ces récriminations régulières permettent de détourner l’attention médiatique de tractations autrement plus inquiétantes, comme la volonté de nombreux cadres islamistes de s’accaparer les rouages de l’Etat ou de donner un second souffle au modèle économique néolibéral qui s’accommode de la charité individuelle et rogne toujours plus sur la solidarité nationale. Ainsi l’enjeu de la justice transitionnelle, seule garantie de rupture véritable, a été sacrifié face à l’impératif de sceller des alliances avec certains symboles de l’ancien régime pour se maintenir au pouvoir. La transition se réduirait ainsi à une lutte entre les deux camps pour la conquête du pouvoir, laquelle conditionnerait la redistribution de la rente entre anciennes et nouvelles élites.

On comprend, dès lors, que la bataille à laquelle on assiste aujourd’hui n’est nullement celle qui nous est donnée à voir : elle réside plutôt entre les tenants d’un ancien régime rénové et les partisans d’une rupture franche et large avec les fondements et les pratiques d’un pouvoir dont les Tunisiens ne veulent plus. Sa caractéristique est qu’elle traverse les partis d’opposition tout autant que les partis au pouvoir. Cette tension est d’autant plus accentuée que les benalistes reconvertis récemment à la démocratie tentent d’achever leur refondation, drapés qu’ils sont de la légitimité historique («Bourguiba, libérateur de la femme et bâtisseur de la nation»), à défaut de pouvoir revendiquer une légitimité électorale. Détenteurs des compétences d’Etat, mais surtout de baronnies solidement établies dans les ministères clés, ils sont tentés de faire chanter islamistes et modernistes pour monnayer leur retour sur la scène politique.

L’issue des prochains mois est donc moins dans les mains de ceux qui agitent le perpétuel «chiffon vert», que dans celles, plus agiles et plus efficaces, des tenants du retour à l’ordre ancien. Le peuple tunisien reste à tout le moins l’otage de ces stratégies politiques que la révolution du 17 décembre 2010 a largement invalidées. La contestation à laquelle on assiste, portée notamment par les diplômés chômeurs et les familles des martyrs et des blessés de la révolution, remet au centre de la vie politique les premières victimes de ce régime qu’il s’agit de faire tomber. Si le processus révolutionnaire en Tunisie paraît se chercher encore, son succès dépendra de la capacité des groupes politiques à résister à la force de la contre-révolution sous toutes ses formes, à mettre en place une dynamique de justice transitionnelle efficace et surtout à donner une traduction politique, sociale et économique claire à son premier axe programmatique : «Le peuple veut la chute du régime».

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